Jeudi 17 octobre au soir, des manifestations spontanées ont éclaté un peu partout au Liban suite à l’annonce de nouvelles taxes, dont celles sur l’utilisation des logiciels de VOIP (dont WhatsApp). Le gouvernement est revenu le soir même sur cette annonce, sans que cela n’apaise la colère des Libanais.
À Tripoli, sur la place el-Nour (« de la lumière »), un grand rond-point en centre-ville avec le nom d’Allah en son centre, il n’était pas utile d’aller aborder les gens aujourd’hui. Ce sont les Tripolitains qui viennent vous voir pour vous expliquer pourquoi ils sont là.
Comme cette femme, qui énumère les « millions de problèmes du Liban » : le manque d’électricité, la gestion calamiteuse des déchets, la pauvreté, le taux de chômage à plus de quarante pour cent, les craintes liées à la dévaluation de la livre libanaise. Comme ce jeune homme qui a terminé ses études et ne trouve pas d’emploi. Comme ce père de famille, venu avec son petit garçon, qui a perdu un œil et a des plaies aux pieds et n’a pas les moyens de se soigner à l’hôpital. Ou bien cet autre homme, chauffeur de taxi, qui envisage une grève de la faim et qui montre des photos de lui pour prouver qu’en guise de protestation, en février dernier déjà, il s’était cousu les lèvres.
De leurs discours, deux points communs : un rejet très clair de la classe politique au pouvoir, dont les membres sont ouvertement traités de voleurs. Et la volonté de refuser toute division communautaire en insistant sur le fait qu’au Liban, ils et elles sont sunnites, maronites, chiites, orthodoxes, alaouites, catholiques, … mais qu’avant tout, ils et elles sont libanais-es et qu’ils doivent s’en sortir ensemble.
La foule prend de l’ampleur en cours de journée, en particulier après la prière du la mi-journée, que certains feront sur la place el-Nour. Parmi les slogans qui reviennent en boucle sur cette place, « ثورة » (« révolution ») et « الشعب يريد اسقاط النظام » (« Le peuple veut la chute du régime »). L’ambiance est joyeuse et offensive, les manifestants dansent et chantent et vont à plusieurs reprises exprimer leur colère devant l’entrée du sérail de Tripoli. Des jeunes mettent le feu à des pneus, d’autres tentent de les en dissuader. Cela reste festif, du moins jusqu’à l’arrivée de l’ancien député de Tripoli Misbah Ahdab qui a cru pouvoir venir s’exprimer au micro. La clameur monte, quelques bouteilles en plastique volent et les gardes de corps de l’ancien député ripostent en tirant à balles réelles. J’ai vu un blessé à la jambe, mais on parle de trois blessés, dont un dans un état critique.
Malgré un moment de panique, les manifestants n’ont pas quitté la place el-Nour qu’ils occupaient encore à la tombée de la nuit.
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